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TIC, nouveaux standards transactionnels et fiscalité - Défis et perspectives [ Working Paper 15-03 - ]

La global information infrastructure est née de la rencontre des technologies de l’information et de la communication (tic). Il s’agit d’un système de réseaux numériques à l’échelle mondiale, flexible et ouvert (tout objet doté d’un microprocesseur peut s’y connecter et créer des passerelles), décentralisé et coopératif (absence d’un dispositif central de contrôle et de gestion) et véhiculant une matière parfaitement homogène (des impulsions électriques) mais constitutive d’objets de nature extrêmement variée (biens intangibles, informations et services divers, monnaie, etc.).

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A : Auteur, C : Contributeur

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Working Papers

Le Working Paper présente une étude ou analyse menée d’initiative par le BFP.

Davantage qu’un instrument de télécommunication, la global information infrastructure constitue un outil de transaction, en ce sens qu’elle ouvre des nouvelles possibilités d’interaction entre individus et organisations, fondées sur des normes, des procédures, des méthodes tirant profit des externalités de réseau. Elle modifie la façon d’organiser la production industrielle et de faire du commerce: e-procurement, e-sourcing, automated supply chain management, virtual market places, electronic consumer relationship management, e-commerce, etc. sont entrés dans le langage courant. Des cycles commerciaux complets peuvent s’opérer sans jamais sortir des réseaux informatiques: paiement, livraison, commande, marketing, voire production dans le cas de biens intangibles. Les rapports à l’espace et au temps sont modifiés, conduisant à des réorganisations des structures productives, tant dans le sens de la fragmentations géographique que de l’intégration de fonctions précédemment distinctes, et à un raccourcissement des circuits commerciaux (désintermédiation) parallèlement à une multiplication des montages d’affaire transnationaux.


Les nouveaux standards transactionnels participent de la “mondialisation de l’économie”. Qu’ils soient culturels, idéologiques ou financiers et commerciaux, réguliers ou mafieux, les phénomènes issus de la global information infrastructure tirent leur efficacité du fait qu’ils ignorent la notion de territoire stato-national et, ce faisant, érodent la souveraineté des Etats-nations, notamment (mais pas seulement) sur le plan fiscal. En effet, les administrations fiscales tirent leur pouvoir de l’Etat dont elles sont l’émanation, la souveraineté de celui-ci étant soumise à des limites territoriales auxquelles le droit fiscal fait sans cesse référence dans ses concepts. De ce point de vue, les problèmes fiscaux soulevés par les transactions électroniques sont de même nature que ceux découlant de tout autre phénomène de globalisation économique et financière, leur degré étant simplement augmenté. Cependant, à ceci s’ajoute que les concepts fiscaux eux-mêmes, définis bien avant l’avènement du commerce électronique, perdent de leur pertinence dès lors qu’ils sont confrontés aux nouveaux objets commerciaux issus de développement des technologies de l’information et de la communication.


En matière d’impôts sur les revenus, la problématique principale est celle de la répartition de l’impôt entre les juridictions nationales concernées par des chaînes multinationales de formation de la valeur ajoutée, de plus en plus complexes et volatiles. Traditionnellement, le droit interne des Etats et les conventions internationales proposent des critères objectifs à cet égard (fondés sur le lieu de la source, le lieu de résidence, la présence d’un établissement stable) qui eux-mêmes renvoient à des faits matériels (lieu de travail avec présence de personnel, dépôts de stockage, lieu des conseils de direction, etc.). Ces concepts sont peu adéquats dans le cadre de circuits commerciaux faisant intervenir, partiellement ou uniquement, des sites web ou des serveurs informatiques. Par ailleurs, les modalités de taxation (inter)nationale peuvent différer selon la nature des revenus (bénéfices d’entreprise, redevances, rémunération pour prestations de services, etc.) définis eu égard aux caractéristiques juridiques du droit transféré d’un acheteur à un vendeur. Or, les technologies modernes donnent lieu à des applications commerciales ambiguës sur le plan de la nature des relations entre les parties (par exemple, dans le cas de produits numériques conditionnellement reproductibles ou transformables par le client). En 2000 et 2001, l’ocde a proposé certaines réinterprétations des concepts utilisés en matière d’impôts directs dans le cadre du commerce électronique. Ces propositions restent cependant insuffisantes pour résoudre l’ensemble des problèmes soulevés. Se pose, en particulier, la question de savoir si le concept de source garde un sens en tant que le lieu géographique d’une activité économique, quand celle-ci est menée dans le “cyber-espace” qui, précisément, ignore largement le concept de géographie. Enfin, sur le plan de l’administration de l’impôt, la multiplication des montages de type global collaboration rend de plus en plus difficile l’application de la législation sur les prix de transfert.


En matière d’impôts sur les produits, le principal défi consiste à garantir la neutralité des systèmes fiscaux. Le régime commun de la tva dans l’Union européenne distingue, d’une part, les livraisons de biens pour lesquelles un régime de taxation à destination est organisé afin d’éviter une concurrence fiscale entre Etats et, d’autre part, les prestations de services qui, n’étant pas susceptibles d’être commercés internationalement, sont taxés à l’origine (sauf exceptions). Dans ce contexte, le développement du commerce à distance de produits numériques entraîne des situations de distorsions de concurrence. En effet, ces produits, puisque de nature incorporelle, sont considérés comme des services et donc soumis au régime de taxation l’origine. Dès lors, en 2002, le Conseil européen a adopté une directive qui étend, dans une certaine mesure, la taxation au lieu du preneur (taxation à destination) à une série de services fournis par voie électronique dont la directive fournit une liste indicative. Cette directive (à intégrer dans les législations nationales pour la mi-2003) apporte une solution à un certain nombre de situations jugées problématiques: en particulier, elle rééquilibre la position concurrencielle des prestataires européens à l’égard de prestataires étrangers à l’Union européenne. Cependant, elle ne supprime pas toutes les possibilités de distorsions de concurrence entre prestataires étrangers et communautaires ou entre commerce traditionnel et e-commerce. En outre, les recettes de tva sur les services fournis par voie électronique risquent de se concentrer dans le ou les Etats membres à plus faible taux de tva dans l’hypothèse où un simple serveur informatique pourrait suffire à constituer un établissement stable, comme il découle, sous certaines conditions, de la réinterprétation du concept par l’ocde.


La modification du régime de la tva applicable aux services fournis par voie électronique est conforme aux recommandations des “conditions cadres pour l’imposition du commerce électronique”, adoptées en 1998 sous l’égide de l’ocde et qui prévoient que l’imposition devrait intervenir dans la juridiction où a lieu la consommation. Néanmoins, les Etats-Unis ont accueilli cette initiative avec réserves. En effet, dans la mesure où l’ensemble des régions du monde n’adaptent pas leurs dispositifs fiscaux simultanément et dans le même sens, le système mondial des impôts sur la consommation reste incohérent. D’autre part, la directive européenne a pour effet de soumettre des entreprises étrangères à une juridiction européenne, ce qui suscite des réticences dans le chef de l’administration américaine.


Ces réserves dissimulent une forme de concurrence fiscale internationale en matière de fiscalité du commerce électronique, découlant du fait que les Etats-Unis sont le principal fournisseur net de produits numériques alors que l’Union européenne est consommatrice nette des mêmes produits. Dans un tel contexte, la préférence des différents Etats en faveur d’un régime de taxation à destination ou à l’origine (impôts indirects) et à la source ou à la résidence (impôts directs) est déterminée par leur volonté de préserver leurs recettes fiscales qui pourraient être menacées et/ou de maintenir leur leadership dans certains domaines d’activité liés à l’e-commerce. Les facteurs de production de la “nouvelle économie”, par exemple les serveurs informatiques (qui pourraient, sous certains conditions, être considérés comme un établissement stable aux fins des impôts directs) peuvent être considérés comme des facteurs de production hautement mobiles, ce qui renvoie à la problématique générale de la concurrence fiscale internationale, dont on sait qu’elle concerne précisément les assiettes les plus mobiles.


En matière de droits de douane, les produits numériques fournis par voie électronique n’ont, de facto, jamais été imposés; un moratoire a été signé en 1998 en vue d’entériner cet état de fait. L’absence de droits de douane entraîne un risque d’érosion des recettes fiscales, surtout dans les pays en voie de développement. En outre, elle conduit à la perte d’un instrument de politique commerciale à des fins, par exemple, de protection socio-culturelle dans les pays européens. Les débats en cours portent notamment sur la question de savoir si les produits numériques doivent relever du gats ou du gatt, la position des différents pays à cet égard étant fonction des conséquences que ce classement peut entraîner eu égard à leurs objectifs régulatoires et commerciaux, plus que de l’intérêt général compris mondialement. Quoiqu’il en soit, l’on voit mal comment des douaniers postés aux frontières pourraient contrôler des flux commerciaux dématérialisés.
La question de la capacité d’exercer un contrôle fiscal effectif et de recouvrer l’impôt se pose également en matière d’impôts directs et d’impôts sur les produits. Cette problématique découle de la combinaison des caractéristiques techniques de la global information infrastructure et de l’inadéquation des systèmes de taxation à ces caractéristiques. En outre, l’absence de certitude juridique qui subsiste en matière d’e-commerce représente, certes, un coût pour les opérateurs commerciaux (manque de clarté, de transparence et de prévisibilité des obligations fiscales), mais offre également des opportunités sur le plan de l’optimisation fiscale et de la fraude.


Les risques de fraude sont accrus en raison de l’absence d’un système universel de certification des identités, de la volatilité et du caractère difficilement traçables des informations sur les réseaux. La dématérialisation des comptabilités, des factures ou d’autres documents commerciaux facilite leur falsification et, lorsque des données qui permettraient un contrôle sont conservées, elles peuvent l’être dans des Etats tiers ou dans un “lieu électronique” indéterminable. La réduction de la longueur des circuits commerciaux qui caractérise le commerce électronique (désintermédiation) augmente également les risques de fraude (volontaire ou non), notamment dans le cas d’impôts dont l’administration repose largement sur la self-compliance des assujettis (cfr. la tva), et ce d’autant plus que la matière imposable serait constituée de produits ou services numériques dont il est difficile d’évaluer la valeur sur base des inputs. Enfin, les réseaux facilitent l’accès aux paradis fiscaux et l’apparition de nouvelles formes de monnaies électroniques ouvre des possibilités de fraude identiques au cash.
Si les nouveaux standards transactionnels remettent en question les systèmes fiscaux, parallèlement, les technologies de l’information et de la communication présentent des opportunités sur le plan du service au contribuable et de l’administration de l’impôt: déclarations fiscales en ligne, automatisation des procédures de conformation aux formalité fiscales, optimisation des contrôles à l’aides de techniques de data mining, etc. Ces opportunités sont d’ores et déjà explorées par les administrations de nombreux Etats.


Il reste néanmoins que les régimes fiscaux en eux-mêmes, dans leurs principes et dans les concepts qu’ils définissent, paraissent relativement inadéquats eu égard à la réalité des transactions commerciales électroniques, et ce malgré les adaptations ou réinterprétations intervenues ces dernières années. L’éventualité de l’instauration de taxes spécifiques (bit tax) ou d’une zone franche sur les réseaux (absence de toute imposition) étant rejetée depuis de nombreuses années par la communauté internationale, des modifications aux régimes fiscaux traditionnels sont donc inévitables afin de maintenir une juste imposition du commerce électronique, d’assurer la neutralité de l’impôt et de garantir l’équité dans la répartition des recettes fiscales entre Etats.


Les régimes d’imposition, notamment sur le plan de la fiscalité internationale, résultent d’une évolution historique constituée d’apports successifs et imbriqués, le tout aboutissant à une construction extrêmement complexe dont il semble difficile de modifier des éléments sans compromettre l’équilibre d’ensemble. Ceci conforte un certain conservatisme, d’autant plus que les divergences d’intérêts à l’échelle mondiale incitent les Etats à adopter des attitudes rigides dans les négociations sur les questions fiscales. Or, le caractère extrêmement évolutif de l’environnement auquel les système fiscaux sont confrontés n’autorise pas le conservatisme.


Il est difficile de prévoir si l’orientation de la réflexion à l’échelle internationale conduira à une complexification supplémentaire des dispositifs fiscaux ou, au contraire, à un streamlining plus ou moins radical de ceux-ci. Cette dernière hypothèse est, sans aucun doute, la plus coûteuse en terme d’efforts conceptuels et diplomatiques. A l’évidence, les défis à relever ne peuvent se satisfaire de solutions simples; en outre, la réflexion sur les questions fiscales n’est pas indépendante de problématiques qui dépassent le cadre strictement fiscal (cfr. la question du respect de la propriété intellectuelle, du contrôle des places off-shore, de l’imposition d’un système universel de certification des identités, etc.). En tout état de cause, les décisions à prendre ne devraient pas, au premier chef, être dictées par des impératifs de nature technique, mais ressortir d’options de nature politique quant au degré de contrôle que les gouvernements souhaitent conserver dans un marché mondialisé et dématérialisé.

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